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paru sur le label Creative Sources CS304

En cascades ou en chutes libres, Louis-Michel Marion (contrebasse), Jacques Di Donato (clarinette) et Philippe Berger (violon alto) respirent abondement, ne se fient qu’à ce qu’entretient l’instant. Surtout : ne se soucient pas de la forme, des chemins à suivre et à respecter. Mais ne jaillissent jamais pour rien. 

Ils épousent les lueurs, les murmures. Jamais on ne les surprendra à torturer les cordes ou les souffles. Ils diront quelques colères mais rejoindront vite les silences  épanouis. Ces silences se fendilleront de craquements, de bruissements, de frôlements. Ils ne seront pas servilité mais sensibilité. Puis toutes voiles dehors, ils fouetteront le dégel, enfanteront quelques morsures avant  de rejoindre ce silence tant adoré. 

Luc Bouquet / Le Son du Grisli

Le son comme utopie libertaire à portée de floraison ; et les voici ces éléments vivants sans dieu ni maitre si ce n’est l’équilibre du moment, ce jeu de l’instant de cerises rougeoyantes qui jaillissent et aussitôt disparaissent. 
Savourer ce passage du temps sans propriété en se laissant aller sans rien vouloir deviner est une manière d’être transpercé soudain par la proposition instantanée, alchimie voluptueuse de fusées lumineuses ou de météores enflammés. 
Abandonnant ici toute volonté d’analyse ou de calcul, l’esprit heureux ne peut que gouter à ces mondes merveilleux, libres et inattendus, spectaculaires.

Il n’y a pas de recette ni de mode d’emploi de la situation, au coeur de cette magie miraculeuse des bruissements inouïs, l’aventure des espaces acoustiques se forme et se déforme au vent funambule de milliers de chemins ouverts puis déjà quittés. On dirait bien que l’art de cet art réside dans le temps, celui le plus proche du présent, ce minuscule espace à la densité extraordinaire, brulant de vérité et de justesse. C’est à cet endroit aux envers infinis que se révèle et bourgeonne, ensoleillée, pétillante de toutes parts de son paradoxe extraordinaire, la réalité d’une musique immédiate. 
L’harmonie du chaos, la vraie vie, la folle envie. 

« Tout terriblement » écrivit le poète sous Le Cheval calligramme d’Apollinaire. Tout terriblement, c’est cela. C’est cette antienne que l’on doit garder au coeur, cette clef des possibilités immenses et inattendues, l’étoile fascinante d’un désir sans cesse consommé et sans cesse renouvelé.

Clinamen est une de ses expédition. Une aventure en Terre inconnue, le plaisir de l’émerveillement. 
Le clinamen est aussi un mot étrange, un vieux mot d’avant issu d’une manière de pensée de l’école d’Epicure et qui met en exergue l’aléatoire et justifie la liberté des choix des hommes et des femmes. Ainsi, au delà de la simple évocation historique, clinamen renvoi surtout aux amoureux de l’écart et de la déviation, ces subtiles et vibrantes extravagances à l’ordre prévu, au corsetage des idées et à la prévision asphyxiante. 
Clinamen ou la beauté des pensées sauvages, incontrôlées dans le temps à venir et données entièrement et follement à l’instant.

Louis-Michel Marion (contrebasse), Jacques Di Donato (clarinette) et Philippe Berger (violon alto). Trois musiciens. Explorateurs.

Et puis la photographie. Sonore. Celle de ce qui à été juste à ce moment donné. Plus rien ne sera plus rien n’a été, mais cette trace pour nourrir peut être la distance d’une écoute. Tout ceci n’a pas tant d’importance, si ce n’est de donner un témoignage des possibilités, d’un parcours dans une carte aux Trésors sans fin et toujours en cours de conversation. Encore un paradoxe.

Clinamen irradie des fébrilités acoustiques. C’est l’enthousiasme des sérendipités comme autant de rebonds sensibles et intelligents. Un bienheureux voyage stellaire sur Terre. Borborygmes mystérieux et granuleux, claquements et descentes vertigineuses, emballements et silences étendus dans les champs d’un jeu bourré d’inventivités spontanées, sifflements, graves et grattements, sons non identifiés, drôles de machinerie à ressentir, poésie simple et chaleureuse. Chaleureuse. Cette musique est chaleureuse. L’abstraction n’y est pour rien, on dirait plutôt cet amour du de la physique acoustique, cette conviction d’une réalité fantastique que trimballent les ondes sonores. Finalement tout ceci est à la fois une attitude et une altitude.
Huit morceaux de découvertes, huit balades dans la carte inconnue et gourmande. L’exigence également. Cette éthique de haute tenue à s’attacher sans cesse au déséquilibre juste, à celui qui propose l’ouverture, l’Autre et la liberté d’aller et venir. 

Ecouter cette musique est une expérience. Rien d’inquiétant, plutôt une jubilation des surgissements impressionnants et sensibles, une articulation ici ou une chute là, l’évasion acoustique.

- tous les ascenseurs du monde devrait donner à entendre ceci du 30ème étage au rez-de-chaussée, ce serait un grand moment en a-pesanteur et une véritable révolution permanente infiltré dans nos quotidiens -

Clinamen. Une déviation à écouter, ici surement, mais à gouter à voir à profiter à s’en régaler, en vrai, en unique et en une seule fois éphémère, certainement.

Antoine Arlot (Citizen Jazz)

Nous avions il y a quelques mois évoqué Louis-Michel Marion pour un solo, Cinq Strophes, où il laissait voir sa face sensible, et le rapport physique et presque charnel qu'il entretient avec sa contrebasse. 
On avait pu également, avec le saisissant Poème-méditation sur la corde grave pu juger de son inventivité et son sens de la profondeur, de l'espace et de la résonance dans cette musique improvisée, libre, intuitive et colorée qui s'accompagne toujours de peintures abstraites qui donnent à penser sa musique.
Avec le Clinamen Trio, le contrebassiste n'est plus seul. Voici un trio où il retrouve deux musiciens connu pour leur cheminement propre dans les terrains à défricher et les musiques où l'instrument à une dimension physique, par delà le son. Le clarinettiste Jacques Di Donato n'est plus à présenter, tant son importance dans les musiques improvisées est prégnante. 
On songe, à l'écoute de "Clinamen #3 : anticlinal", où le souffle de sa clarinette vient se confondre avec le crissement hypertendu de la contrebasse à ce qu'il a pu transmettre à des musiciens comme Joris Rühl, dont le récent Linge est proche de cette atmosphère particulière et hypersensible. Mais aussi à sa relation avec le contrebassiste Jean-Jacques Avenel, par instants.
Le second comparse de Marion est un frère de corde, au violon alto. 
On avait pu le découvrir notamment au sein du quatuor PLI, avec la violoniste (entre autre) Léa Claessens. Philippe Berger est, on le découvre dès "Clinamen #1 : Synclinal", un musicien des profondeurs et de la nervosité. Son rôle entre le souffle des deux basses, celle de la clarinette et celle de la grand-mère est éminément rythmicien. Pas la rythmique lourde et orageuse portée par Marion, mais une rythmique qui s'instille et se donne du champ, qui joue à l'instar de la contrebasse en mimétisme avec les cliquetis des clés de la clarinette.
Les trois musiciens de Clinamen cherchent le liant, l'essence qui les fait avancer de front. C'est ce qui explique le déluge de "Clinamen #2 : Inclinant" et ses vagues successives d'archet et de souffle qui deviennent ensemble une matière dru sur laquelle les pizzicati de l'alto s'échinent.
Il ne s'agit pas de colère, il est question d'énergie qui nourrit un mouvement qui n'est pas désordonné, même s'il n'a rien de rectiligne.
Cela tombe bien. les trois musiciens de l'est de la France n'ont pas choisi le nom de Clinamen par hasard. Les notes de pochettes de ce disque sorti sur le label portugais (encore !) 304 CD Creative Source Recordings nous apprend que le Clinamen est un concept cité par Lucrèce (mais attribué à Epicure himself) qui décrit l'imprévision des atomes dans leur collision et leur chute. C'est un sentiment qui inonde le très court "Clinamen #5 : Clin" qui semble courir sur les cordes et les clés sans se soucier d'autre chose que des sons imperceptibles et nerveux.
Une musique d'atome, qui va de l'infinitésimal à la déflagration parfois en un instant, en un mouvement. Voilà un orchestre qui pourrait être considéré comme proche d'une expression chambriste sous lequel le feu couve. Il se consume en une fraction de silence dans le lancinant "Clinamen #6 : lin".
Mais Louis-Michel Marion est trop amateur de mot pour ne pas savoir également que le Clinamen était un concept de l'OuLiPo qui consistait à l'évitement voir la dérivation d'une contrainte. On croit le comprendre avec le titre de l'album, Décliné. 
La déclinaison, elle est dans cette façon d'aborder la rencontre à trois en contournant la triple opposition frontale. Elle est également dans le choix des titres qui perdent de lettres à chaque étape, jusqu'à finir sur le substantiel "Clinamen #8 : n", longue chevauchée dans une forêt de sons éclairés par des clairières de silence qui laissent l'auditeur dans une délicieuse expectative.
Une belle rencontre.

Franpi Sunship

Décliné Clinamen trio Louis Michel Louis-michel Marion Jacques Di Donato Philippe Berger Creative Sources 304 
Lorsque nous découvrîmes les premiers albums d’Ernesto Rodrigues et des « réductionnistes » sur Creative Sources, nous n’aurions jamais imaginé que l’aventure de CS puisse s’étendre à plus de trois cents albums, certains dispensables et d’autres, comme celui-ci, vraiment attachants et vivants. Une fois passé la rage éditoriale « minimaliste » qui faisait de CS, une plate-forme puriste, le label s’est étendu à un large panorama des musiques improvisées et expérimentales. Il s’agit très souvent d’enregistrements autoproduits et un des points forts du label se situe au niveau de l’exigence de la qualité sonore enregistrée, du focus sur une direction musicale précise pour chaque projet et le graphisme optimal de la pochette où chaque artiste est libre d’exprimer une contre-partie visuelle à la musique proposée. Décliné est un excellent trio d’improvisation libre démontrant à l’envi un bon nombre des qualités et caractéristiques propre à cette expression musicale : exploratoire, insituable, communautaire, combinatoire de multiples aspects de l’activité instrumentale, imaginative, rebelle, à l’écart des définitions faciles, généreuse, secrète. Le nom du trio Clinamen se réfère à la théorie des atomes d’Epicure et à l’écart qui dans leur chute leur permet de se rencontrer pour formers des corps, selon le texte du philosophe latin Lucrèce. Une belle idée pour exprimer les mystères de la rencontre au travers de l’improvisation collective. Qu’un vieux routier du jazz contemporain et de la création musicale comme le clarinettiste Jacques Di Donato libère ici complètement le rapport physique du souffleur avec le bec, l’anche, la colonne d’air nous fait dire que la scène de la musique improvisée révèle toujours bien des surprises. Il fut un temps où cet artiste se produisait dans des « créations » improvisées subventionnées de l’époque mitterandienne. Vu de loin, il se situait dans la mouvance Portal, Sclavis et compagnie. Et donc pour un observateur francophone étranger à la scène hexagonale, c’est une belle surprise. Avec ses dizaines d’années de périples musicaux au compteur, Di Donato surprend et nous convainc par son inlassable recherche de sons, de prises de bec, de souffles inusités sur sa clarinette « classique ». Il n’hésite pas à mettre sa pratique de l’instrument en danger en évitant un énième variation du couinage post aylérien. L’accompagnent dans ce très bel effort sincère et émouvant, le contrebassiste Louis Michel Marion et le violoniste alto Philippe Berger. Dans une série d’improvisations intitulées par une déclinaison autour du mot clinamen, le trio Clinamen nous offre une multiplicité d’approches instrumentales, de pistes ludiques qui, chacune, évitent (soigneusement ou spontanément ?) de se rejouer et se complètent. Tension, relâche, pression, éclair, détente, frappes, doigtés, retenue, application, écoute, oubli, corps, mémoire, on entend ici un éventail de configurations sonores, d’actions instrumentales qui nourrissent l’appétit insatiable de l’écouteur attentif des musiques improvisées libres. Il se passe toujours quelque chose de neuf, chaque pièce étant bâtie –dans l’instant- sur des matériaux recalibrés et redessinés d’une main experte. C’est profondément honnête par rapport à la démarche improvisée et brillant au niveau de l’exécution et de la recherche instrumentale et musicale. Vraiment exemplaire.

 

Jean-Michel Van Schouwburg

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