louis-michel marion
distribution
grounds
poème-méditation sur la corde grave
Emil13 - dist. Metamkine - Les Allumés du jazz - Souffle continu
2013
La presse spécialisée ou semi-spécialisée qui traite le jazz contemporain et de l’improvisation tend à se focaliser sur une série d’artistes notoires alors que ce qui rend la scène improvisée fascinante est cet univers quasi-infini de musiciens de grand talent dont on ne se lasse pas. Parle-t-on contrebasse et les plumitifs nous reviennent sempiternellement avec Joëlle Léandre, Barry Guy, Barre Philips, feu Peter Kowald et maintenant, John Edwards. On a déjà presque oublié Paul Rogers, on ignore un Simon H Fell (qui est aussi un chef d’orchestre – compositeur de grande envergure), Ulli Philipp, Damon Smith et beaucoup d’autres… Le contrebassiste Louis-Michel Marion est un véritable improvisateur dont la participation dans le Clinamen trio et leur cédé « Décliné » (avec Jacques Di Donato et Philippe Berger) fait de lui un musicien à suivre. J’en ai fait la chronique dans un numéro précédent.
A la longue c’est chiant d’écouter toujours les mêmes. Un musicien aussi célébré qu’ Evan Parker lui qui a ouvert tout grand la porte sonore du saxophone alternatif et que beaucoup idolâtrent, est, lui, un inconditionnel de ses collègues qu’il trouve passionnants : John Butcher, Lol Coxhill, Michel Doneda, Stefan Keune, Urs Leimgruber, Ned Rothenberg, Tom Chant etc… trouvant que le fait d’être né plus tôt etc… n’est pas un argument… de vente… Donc, faites comme Evan Parker, partez à la découverte d’autres improvisateurs même s’ils ne jouent pas dans les festivals qui comptent … Et donc comme contrebassiste, Louis-Michel Marion est un sérieux client
Le propos de Grounds, enregistré en 2012 est de travailler, explorer, faire trembler la seule corde grave à l’archet jusqu’au bord de l’audible à la limite de l’infrason. Ce pourrait être un exercice de style, mais notre praticien exigeant et talentueux en fait un mirage de l’inconnu, une recherche éperdue de vibrations bienfaitrices durant trente-trois minutes. Un moment radical, intrigant…
Si vous préférez quelque chose de moins extrême, une bonne pioche sur le label israélien Kadima : Cinq Strophes du même Louis Michel Marion. Voilà ce qu’on aime dans la contrebasse improvisée depuis le fabuleux et prémonitoire Journal Violone de Barre Philips enregistré en 1968 et le Was Da Ist de Peter Kowald : une vibration multi dimensionnelle, un jusqu’au bout de la recherche, la beauté du geste, une écoute de soi exigeante, des couleurs, des sons qui bruissent, grincent, éclairent, des pizzicati qui dérapent, s’éparpillent, croisent un archet effilé… L-M Marion fait aussi subtilement deux choses à la fois avec inspiration comme dans ces magiques first steps de la plage 2. Travail à l’archet géant ! Rien à envier à Peter Kowald ! Cette musique a une âme et procure un plaisir, celui de l’artisanat fait main des sons libres arrachés à l’inertie du gros violon, sublimant les incartades auxquels sa nature consent en un instant de vérité. Magnifique.
Jean-Michel Van Schouwburg /
http://orynx-improvandsounds.blogspot.be/2015/11/microlabels-improvises-et-reeditions.html
Bienvenue dans l'ultra-terrestre ! Bienvenus dans "Grounds", bienvenue dans la matière noire et dense d'une contrebasse tirée de Terre. Il est question de graves ici, oui, mais il est aussi question d'ondes à effet grandement physique. "Grounds" est une expérience. "Grounds" est une navigation circum-sonore. Et "Grounds" demande une disponibilité à l'enveloppe, à l'abandon, l'audace d'accepter une histoire qui vous plonge entièrement dans un Monde à la lumière sombre, étirée et fascinante. Dès les premiers instants voici les grandes vagues de sons acoustiques aux miroitement métaphysiques, des élans des emportements des éléments à gros grain à oscillations à palpitations qui gonflent, happent et agrippent l'audition sans retenue. Il n'y a pas de brutalité dans ces espaces telluriques sans cesse dévoilés, mais une irrésistible marche forcée vers la beauté cachée. Mobilis in Mobile.
Ce disque est une sensation, l'inouïe qui vous gaine et vous entraine dans l'a-pesanteur phonique. Pour celui qui ne connait pas cette idée de la musique c'est une chance. La veine d'une première fois aux effets désarmants.
Il n'y a pas de morceau dans "Grounds", il n'y a qu'un morceau. Celui d'une aventure à l'allure d'expédition. L'exploration de ce qui se joue dans les phénomènes acoustiques poussés à l'extrême, une écoute embarquée pour sentir ce qui se trame au creux de la vibration. La cinquième corde… la contrebasse.Et on ne peut s'empêcher de s'abandonner. L'esprit déployé par les ondulations et les lames de fond répétées, on ne peut résister à se laisser porter dans ses contrées abstraites aux richesses sonores sensationnelles. De ci de là le grésillent des cordes et la sympathie d'autres éléments vibrants, plus loin les coups d'archets, instrument de labourage au service des plus grandes étrangetés, le rythme aussi, lancinant, entêtant, les chocs parasites encore qui résonnent et continuent à s'infiltrer dans le corps de la contrebasse étendue, extrapolée, et l'impression forte et envoutante d'une coulée aux horizons sans limites.
Louis Michel Marion, contrebassiste, est un plongeur. Un chercheur en apnée. Il faut oser se lancer avec lui là-dedans, dans ces eaux profondes, dans cet inconnu aux trésors improvisés. Et l'improvisation ! Et l'improvisation ! Notre affaire intime aux risques joyeux, remplie de serendipité et de curiosités. Ce trip sans savoirs d'où jaillissent les lumières et les imaginations.Pour un musicien, voilà le bonheur trouvé, celui d'un équilibre où ce qui arrive donne la matière à ce qui va être inventé. Pour l'auditeur, voilà la joie, voilà l'intérêt, celui indescriptible de participer funambule à l'imprévu complice.
24:31. Mais où est-on ? Bruits soufflés, graves de traine et frottements à la réverbération naturelle… c'est une sorte de lumière qui explose et crépite parfois de ces noirs. Le reflet d'idées spontanées, de drôles de réactions aux justesses déshabillées. Ici est le sujet, tout est là, dans ce maintenant, dans ce si peu immense, dans ce man's land tout entier occupé, dans ce temps absolument absorbé.
Cette musique, ces sons ne sont pas compliqués. Ils n'existent que par l'émotion, sans savoir sans sélection. Ils n'existent que par l'attention que l'on veut bien leur donner. Une liberté partagée. Un pas de deux nourrit de générosité et de sensibilité.
32:00. Cela s'éloigne. C'est unique. C'était le temps d'une Odyssée
Antoine Arlot
"... La contrebasse de Louis-Michel Marion a 5 cordes, mais pour cette proposition, il n'en n'explore qu'une seule, la plus grave celle de Si. Celle-ci qu'il a en supplément des autres contrebasses habituelles qui n'en ont que quatre. Lorsqu'il y en a cinq c'est souvent un Do grave mais Louis-Michel a opté pour un Si grave. Voici donc 33 minutes 29 de sons graves. Si on ajoute que le travail fait ressortir par battement des fréquences en dessous du niveau du Si, c'est un jeu dans les extrêmes graves qui nous est proposé ici. Conclusion: vérifiez que vos enceintes vous permettent d'apprécier ce disque - disque qui vous propose de retrouver la sensation de l'oreille collée à la caisse de la contrebasse, une contrebasse que vous n'entendriez pas ainsi en concert. Merci Emile Berliner !
La pièce pourrait sembler statique mais, et c'est le propre de la musique minimale, elle devient riche et foisonnante dès que le travail spécifique de l'écoute se met en marche. Pour qui se laisse aller à la contemplation, il plonge avec délice dans les inflexions de la corde, et au détour des dé-timbrages surgissent des harmoniques, véritables apparitions, fantômes des cordes vibrantes.
C'est l'archet qui mène le chant, par ses variations de vitesse, ses reprises, ses à-coups et ses ralentis, ses écrasements... de la corde de Si. La corde parfois, elle oublie le Si pour faire entendre le monde magique des bruits qui entourent la note, comme ceux que recherchent les musiciens africains lors de la favrication de leur instrument. Parfois l'archet claque sur la corde et con legno la fait danser. Ou alors, par des crissements, il crée des rythmiques, légères ou appuyées sur une seule note, une vrae samba de une nota so.
Mais ne croyez pas que les autres cordes ne servent à rien. C'est parce qu'elles vibrent par sympathie que l'on se plonge dans un univers si riche."
J_Kristoff Camps / Revue@Corrigée
"Un continuum fondé sur un travail de variations fines d'une fondamentale fixe, le Si grave, invitant à un voyage à travers toute la gamme des fréquences harmoniques naturelles ou complexes de cette hauteur. De ce fond apparemment statique, matériau brut et condensé, émergent des colorations allant des plus profondes aux plus scintillantes.
Le jeu de résonances sympathiques avec les cordes voisines ouvre des champs de résonances et d'interférences diverses qui enrichissent encore le jeu sur les textures sonores, la densité ou l'épaisseur du son.
Les effets graduels d'articulation amènent une élasticité temporelle et dynamique qui ravive l'écoute en même temps qu'ils donnent lieu, par la perception des attaques d'archet à de nouveaux résultats harmoniques... Dans la symbolique musicale le si représente la mort.
Peut-on supposer qu'à ce titre, les contrebassistes n'auraient pas osé descendre jusqu'à cette hauteur fatidique et préféré s'arrêter au do? Le franchissement de ce demi-ton aurait alors une portée moins anodine... voire subversive..."
Dominique Delahoche / compositeur
A l’instar des tableaux monochromes de Malevitch, le contrebassiste Louis-Michel Marion propose avec Grounds un solo intitulé poème-méditation sur la corde grave. Marion, qui a été l’élève de Jenny-Clark et joue par ailleurs de la viole de gambe, part dans cette recherche obstinée à la pointe de l’archet pour toutes sortes de voyages immobiles et de contrées étranges.
Les allers et retours des frottements sur la corde esseulée trouvent dans cette pièce unique des espaces inédits, des souffles bourdonnants et des entrechocs répétitifs où peuvent parfois s’immiscer une forme de transe. Cette sobriété contrainte introduit de la poésie dans chaque petite altération, et du relief dans chacun des frottements plus ou moins appuyés qui prennent alors une importance inouïe. Une œuvre loin d’être monocorde, malgré les apparences.
Franpi Barriaux / Citizen Jazz
"Louis Michel Marion’s Grounds is a 33 minute long bass drone. I don’t know what he is doing to the bass. The uncertainty is very attractive. There may be marbles. There may be brillo pads. You can hear him breathing intermittently. This is, after all, what the drone is all about. Breath. Here is proof that music induced breathing should be captured in every recording it provokes. It is important to know that you are not alone (at least as concerns asthma attacks).
Before I wax abstract I want to emphasize that I very much like this record. There is a melting into operating over the course of changes in bow speed and technique. After years of lived intensity there is this bass drone and it is a relief.
The only thing a drone demands is sinking. In an acoustic recording such as this the sinking is a singularity. It swallows you but it heals you. A kind of phonetic prophylaxis only available to those of us who want our bodies eaten by sound. When the bass bow scrapes we remember our throat as a spectrum of chewing. The string races to outdo the hinging and our feet fall off in layers and it is perfectly acceptable. We surrender the physical to content and enjoy the morphology of vulnerability therein. This procedure predates every open string. It is the secret mission of sound and this record reveals it.
The string resonates again and we remember as truth that a physical body is optional.
I do not exist in this record.
Neither do you."
Valerie Kuehne / The super Coda
"Sous-titré "Poème-méditation sur la corde grave", le disque en solo de Louis-Michel Marion (...) se focalise sur la corde grave dont il tire (...) un bourdon, et déploie une infinité de micro-variations sonores en jouant sur le traitement de la corde, les nuances, la pression et l'attaque de l'archet, les fréquences de toucher, les changements d'allers-retours de l'archet... Mieux vaut, pour en apprécier toutes les subtilités évolutives, s'isoler dans le noir et se laisser immerger par les vagues de son..."
Marc Sarrazy / Improjazz
Le français Louis-Michel Marion est un bassiste intéressant. Il se présente dans des contextes variés et a joué avec des musiciens de styles très différents, tels que Joe McPhee, Keith Rowe, Steve Potts et Lê Quan Ninh. Il semble avoir une fascination pour la danse et est un bassiste qui est très à l'aise dans la plus inconfortable pour beaucoup de style: le solo.
Marion a un style particulier quand il joue: il a une très longue pique sur sa basse, ce qui signifie que la base est très élevée. Visuellement impressionnant et accrocheur. Une autre chose qui est spéciale, c'est que son instrument est à 5 cordes. Cette corde supplémentaire lui permet de produire des graves terribles. Cette cinquième corde est l'objet de son disque, "grounds" enregistré à Nancy en 2012 et publié l'an dernier sur Emil. Le disque a un sous-titre «poème-méditation sur la corde grave" ce qui est assez frappant, car nous entendons un drone merveilleusement poétique et méditatif avec de riches harmoniques, une basse profonde pleine de bois et d'émotions . Ce drone vit sa propre vie, prends son temps, se déforme, se transforme, et continue à l'infini. Bien sûr, on peut dire que ce n'est pas quelque chose de nouveau, le drone grave est un domaine très bien documenté, la musique de Marion reste néanmoins fascinante. Je ne sais pas exactement ce que c'est, mais il est vraiment bon. C'est peut-être la profondeur. À la fois physique et mentale. Il faut du courage, de la conscience, de la volonté, une paix pour créer ce genre de pièce, il faut y croire. C'est impressionnant.
Joacim Nyberg / Sound of Music